Pauline Segouin Master 1 TP2

Ballons

Passer du plan au relief… Voilà un thème qui, d’emblée, m’a semblé tout à fait stimulant. Aborder enfin la sculpture, se frotter au modelage de la matière, expérimenter les matériaux, chercher la forme, la trouver peut-être… Mais la consigne directrice de ce projet imposait, avec subtilité, une petite difficulté. On ne saurait s’affranchir si facilement du plan ! Il fallait non pas représenter un objet en relief mais un objet qui sort du relief. Précision essentielle dans laquelle se situe peut-être tout l’art de la sculpture, sa difficulté et son intérêt. 

Le choix de l’objet, étrangement, a été très facile. Il me semblait que la consigne nous invitait à capter ce moment fugace où la forme émerge. Cette compréhension de la consigne a dirigé mon choix vers le ballon de baudruche. Cet objet, dans son utilisation, disons même, sa raison d’être, expérimente cette (ex)tension de sa forme qui du plan, grâce au souffle et alors que son volume augmente, le fait investir une dimension supérieure. Ce petit bout de caoutchouc, plat, étroit, insignifiant, sans relief (et abusons ici des sens propre et figuré) peut prendre tout à coup une ampleur insoupçonnée pour sombrer tout aussi soudainement dans le néant. Chacun le sait, la vie d’un ballon de baudruche est limitée. Un angle un peu aigu, instantanément, le fait disparaître à jamais. Seuls quelques reliefs de son volume évanoui réintègrent en tombant le voisinage du plan.

Méditant cette question, j’ai commencé par gonfler et dégonfler, faire éclater quelques ballons afin d’observer, presque avec fascination, la manière dont la forme naît et comment elle disparaît. Arrêtant ces expérimentations à une forme modestement gonflée de mon ballon, je décidai d’en capter enfin la forme, de manière définitive, sans qu’une aiguille où le travail tenace du soleil et du temps n’altèrent, définitivement ou progressivement, chacun à leur manière, cette forme du ballon que je décidai être satisfaisante.

A l’aide de colle et de bandes de papier journal, j’entrepris d’emprisonner dans une gangue de papier mâché la forme de mon ballon de baudruche. Une fois le papier sec, je perçai le ballon. L’objet avait disparu, seule subsistait la forme modelée sur l’air, le vide maintenant. Mais une chose manquait : la naissance de cette forme, son affranchissement du plan : la réponse à la consigne en somme. L’objet prisonnier de son enveloppe de papier avait disparu, seule subsistait une forme qu’il fallait essayer de ramener au plan, de faire disparaître à son tour. J’aurais pu utiliser d’autres ballons de baudruche à qui j’aurais appliqué le même traitement de colle et de papier journal. Gonflés différemment, ils auraient pu représenter les différents stades de la forme finale. Mais cela aurait été détourné la consigne : représenter un objet. Le mien étant perdu, définitivement, sous les couches de papier et de colle, il fallait le remodeler, retrouver sa forme… J’entrepris donc de modeler plusieurs boules, de tailles différentes, essayant de reproduire le gonflement du ballon, étapes par étapes : le plein pour représenter le vide autour duquel mon objet s’était construit.

C’est à ce moment, sans doute, perdue dans cette réflexion sur le plein représentant le vide et ce vide suggérant le plein, qu’une vieille visite de musée m’est revenue à l’esprit. Aile Denon, le Louvre, les esclaves de Michel-ange, pris dans une spirale de marbre, se contorsionnent. Ces captifs dits « l’Esclave mourant » et l’Esclave rebelle » étaient destinés au tombeau du pape Jules II mort en 1513, vaste projet finalement inabouti auquel l’artiste travailla durant quelques quarante années. Le processus de taille, la trace du ciseau denté est visible. A certains endroits, sous certains angles la sculpture demeure bloc de pierre, brut et informe.

Captif « l’esclave mourant », Michel-Ange, 1513-1515, marbre, 228 cm, Musée du Louvre, Paris :

http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=obj_view_obj&objet=cartel_2981_60894_1084_001.jpg_obj.html&flag=true

Captif « l’esclave rebelle », Michel-Ange, 1513-1515, marbre, 209 cm, Musée du Louvre, Paris :

http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=obj_view_obj&objet=cartel_2974_60888_1085_001.jpg_obj.html&flag=true

Mais cette présence de la matière est plus encore prégnante dans ces autres esclaves destinés eux aussi au tombeau de Jules II et conservés aujourd’hui à la Galleria dell’Accademia de Florence et datant des années 1530. Intéressons-nous plus particulièrement à l’esclave dit « Atlas » qui semble essayer de s’extraire douloureusement de son bloc de pierre.

Esclave dit « Atlas », Michel-Ange, 1530-1534, marbre, 277 cm, Galleria dell’Accademia, Florence.

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La statue s’affranchie ici du bloc de pierre, l’Idée de la matière. Le processus de la sculpture est ici offert au spectateur et cette question : comment naît la forme dans le bloc de pierre ? Michel-Ange dans un sonnet évoquait cette question qui fait l’essence du travail du sculpteur : L’excellent artiste n’a pas d’Idée qu’un seul bloc de marbre ne circonscrive, dans cet excès de matière dont seule la main qui obéit à l’Intellect peut arriver à la libérer.

C’est à cette même difficulté qu’il m’a semblé être confrontée alors que forte de mon idée, ce ballon en papier mâché, forme négative du souffle qui avait sculpté la forme du ballon. Comment à partir de la matière qui m’était donnée –le papier mâché- emprisonner cette forme fugace et mouvante : un morceau de caoutchouc gonflé par un souffle ? Il m’a fallu déconstruire la forme finale à l’aide de la matière pour aboutir au plan, point final ou point de départ de la consigne qui nous était donnée. La même idée que derrière le geste de Michel-Ange débusquant la forme dans la matière, finalement…

Après avoir façonné mes boules de papier mâché, je les ai peintes du même vert, celui du ballon point de départ de mon inspiration. Une seule couche, légèrement transparente m’a semblé être suffisante. Les lambeaux de papier journal, ma matière première, toujours visible sous la couleur m’ont semblé avoir leur place dans l’aspect visuel final de ce travail. Comme Michel-Ange – avec toute la modestie dont doit être investie une telle comparaison – je décidai de laisser la matière brute visible au spectateur. Nous n’aurons jamais que l’idée de ce ballon qui se gonfle, ce papier mâché nous la fait toucher du doigt, et seulement toucher du doigt…

Ce projet est resté longtemps ainsi avant qu’une autre étape me semblât devoir être ajoutée… Comme je l’ai déjà souligné, le ballon est fragile. Cette fragilité devait être intégrée à cette représentation d’un ballon se gonflant car elle y est inhérente. Il me fallait donc ajouter la représentation du ballon éclaté, lambeaux verts de papier journal : la forme retournant au néant, le relief réintégrant le plan.

Cette étape ajoutée au projet s’est révélée essentielle car elle a fait émerger l’idée d’une application pédagogique à partir de cette réalisation plastique.  Le résultat de cette recherche sur le relief était presque romanesque : il y avait là une histoire de ballon au dénouement tragique. Cette petite histoire se déroulait de manière séquencée, presque à la façon d’une bande-dessinée. Mais la représentation en relief apportait quelque chose de plus, rattachant la production à un support pour le cinéma d’animation.

A partir de cette production il m’a donc semblé intéressant de développer une séquence d’arts visuels autour du cinéma. Les formes rondes déclinées à l’occasion de ma réalisation plastique m’ont évoqué la lune du Voyage dans la lune de Georges Méliès et il m’a semblé que ce film pouvait constituer un bon point de départ pour une séquence en arts visuels avec des élèves de Cycle 3. L’objet d’une telle séquence pourrait être de travailler sur la réalisation d’un petit film à trucages tels que ceux que réalisait Georges Méliès en insistant, dans un premier temps, sur l’écriture d’un petit scénario et la réalisation plastique des éléments narratifs du film en projet et, dans un second temps, sur le tournage du film et sur les trucages cinématographiques.

Les séances consacrées à cette première étape du projet auraient pour point de départ le travail de Méliès dans la préparation de ses films et les différentes techniques utilisées. A partir de ce travail de découverte, les élèves auraient à travailler sur le sujet suivant : « Imaginez votre voyage sur une autre planète ». Deux séances seraient consacrées à cette première étape permettant de découvrir deux techniques différentes de création. La première séance aurait pour objet la réalisation de la planète à l’aide de papier mâché. Différents types de supports permettant le modelage seraient proposés aux élèves et pas seulement des supports sphériques. La deuxième séance aurait quant à elle pour but de modeler grâce à de l’argile quelques habitants de la planète explorée. Une troisième séance permettrait de peindre les planètes et de finaliser les décors.

A partir de ces décors on pourrait ensuite réaliser un petit film prenant par exemple la forme d’une visite guidée d’une autre galaxie en utilisant quelques trucages repérés et choisis avec les élèves dans les films de Méliès visionnés.

Une réflexion sur « Pauline Segouin Master 1 TP2 »

  1. Belle approche matiériste et poétique du souffle…voir aussi le travail de Penone à ce sujet
    Analyse sémantique rigoureuse de Michel-Ange.
    Pascal Bertrand

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